Quand on parle de nouvelles formes de travail, on a toujours du mal à expliquer ça aux générations qui nous ont précédé.
La semaine dernière, mon père m’a rendu visite. Et j’ai bien vu qu’il avait beaucoup de mal à comprendre ce qu’était mon travail. Mon père est un médecin généraliste de province, un peu le médecin notre enfance, en tout cas de la mienne ! Par vous en dresser un rapide portrait caricatural, forcément, c’est un médecin passionné par son métier, avec le serment d’Hippocrate chevillé au corps. Il a toutes les caractéristiques du médecin de famille à la campagne, la moustache comprise, et son esprit est façonné par ce bon sens paysan qui a bercé mon enfance …
J’ai bien vu à sa tête qu’il comprenait avec difficulté le concept de slasheur. Pour lui, on se définit par son travail, pour sa génération on est ce que l’on fait. Il est dubitatif sur le fait qu’on puisse être un slasheur ou même un switcheur. Pourtant … lui-même a été un switcheur toute sa vie !
Pour ceux qui ne connaissent pas ces deux concepts, quand le slasheur choisit d’avoir plusieurs identités professionnelles simultanées, le switcheur lui choisit d’avoir plusieurs identités professionnelles mais alternativement.
Ce concept d’avoir besoin de ne pas être UN, de ne pas avoir qu’une seule identité professionnelle mais d’avoir besoin de les multiplier pour pouvoir exprimer sa complexité et sa différence est un concept qui échappe à la génération de mon père. Pourtant lui-même a toujours été sans le savoir un switcheur.
En effet, les gens l’ont toujours considéré comme le médecin généraliste de campagne qu’il était. Mais l’histoire familiale, notre histoire familiale, a fait de lui, aussi, un agriculteur. L’héritage familial l’a poussé à avoir un élevage de chevaux. Mon père depuis ses plus jeunes années est, en même temps, médecin généraliste et agriculteur. Si vous parlez avec lui et que vous demandez quelle est sa profession, il vous dira qu’il est médecin … pourtant il switche tous les soirs et tous les week-ends sur le métier d’agriculteur.
Notre génération a besoin de pouvoir exprimer cette complexité.
C’est donc avec force et conviction que nous exprimons le fait d’avoir cette identité multiple. Nous ne satisfaisons pas en étant que notre activité, que notre connaissance professionnelle principale.
Que nous soyons switcheur ou slasheur, nous n’avons rien inventé par rapport à la génération de nos parents, nous exerçons plusieurs professions, nous avons plusieurs identités professionnelles, mais nous avons choisi de le revendiquer et le clamer haut et fort !
Cette kyrielle de visages n’est pas une tare mais une force.